lundi 31 décembre 2012

Ascension du Cerro Torre : Un Noël pas comme les autres


Une certaine habitude météo commence à faire ses preuves dans le massif du Cerro Torre. Chaque année vers Noël, il y a une fenêtre de beau. Comme si le père Noël aimait les grimpeurs et alpinistes et leur faisait à tous un cadeau commun, une ascension. Et quel cadeau, dans cette contrée si hostile et magnifique.
Notre plus beau présent cette année fut le Cerro Torre par la face ouest, la voie mythique faite de neige, givre et glace. Imaginez grimper sur une meringue géante, il n’y a pas d’équivalent, c’est juste un mirage, un phantasme d’alpiniste, une ascension orgasmique à chaque coup de piolets.
Un beau créneau de 6 jours de beau, sans vent, est prévu à partir du 23 décembre et c’est l’effervescence à El Chalten. Des plans sont échafaudés dans les quatre coins de la ville. Mais au fur et à mesure que la date du 23 arrive le créneau est de plus en plus court, comme d’habitude. Ce qui est sûr lorsque nous partons pour bivouaquer à « Nipo Nino » c’est que l’on a deux jours et demi de beau sans vent.
Notre projet est de faire l’ascension de la face ouest du Cerro Torre par la voie « Ragni ». Ensuite descendre en rappel par la voie « El arca de los vientos » et au niveau du « col de la conquista », essayer la première répétition de la voie « Venas Azules » qui amène au sommet de la Torre Egger.
La ligne de Venas remonte au milieu les langues de neige-glace
Nous avons le temps et sûrement les capacités de le faire. Cela reste un beau projet mais il faut déjà faire la « Ragni » ensuite on verra, ce sera un bonus de luxe.
On part donc le 23, accompagné de Sean et Stéphane, deux grimpeurs de rocher belges exceptionnels, eux aussi sont de la partie pour le Cerro Torre. Sean comme à son habitude, adore faire trempette dans l’eau à 5°C et en profite au lago Torre.
Sean et sa traditionnelle baignade, un malade, un belge je veux dire
On continue tranquillement avec quelques pauses sur le chemin, où d’ailleurs j’oublie par mégarde mon appareil photo. Ça me donnera l’occasion d’un petit footing en aller retour sur le glacier pour revenir le chercher. Comme disent les grands-mères « quand on à pas de tête, on a des jambes ». Je m’en serais bien passé!
Ben, tout content de marcher 5 heures
Arrivé au camp, Ben à eu le temps de récupérer les affaires laissées la dernière fois, cachées sous un bloc. Sauf qu’i y a eu un petit souci. Un put… de renard à élu domicile à « Nipo Nino » et a la fâcheuse tendance de se nourrir des vivres de courses des alpinistes. Du coup notre rab de nourriture à disparu, ma frontale à été bouffée et mon karimat gonflable est troué, ça commence bien !!!
Heureusement j’avais monté une autre frontale par contre le karimat je vais devoir le regonfler toutes les demi-heure si je veux « bien » dormir … Si je le chope ce renard, je l’empale au bout de mon piolet et j’en fais un assado (c’est la colère qui parle).
Réveil à 2h15, départ tardif à 3h30. On prend soin de cacher le reste de nourriture sous un énorme kairn de pierre, afin que le renard ne puisse pas manger nos vivres.
La remontée au col Standhardt est magnifique et la lumière orangée du matin illumine la face est du Cerro Torre, magique.
Le Cerro Torre et la Torre Egger en pleine lumière
7h15 nous sommes au col après avoir avalé les 1200m de dénivelé, on attaque directement les rappels pour basculer de l’autre côté. Il y a une cordée de norvégiens devant nous. On descend 600m de glacier et on remonte pour arriver au « col de la Esperenza », déjà 2100m de déniv, il est 14h00.
Le col de la Esperanza, là où tout commence
Plusieurs cordées sont sur le même créneau que nous (venues en majorité par le passo Marconi) mais elles ont toutes fait une pause avant le col pour refaire de l’eau.
Nous avançons, notre objectif est d’aller le plus haut possible et commencer à regarder pour bivouaquer vers 18h00, histoire de bien se reposer car le sommet du Cerro Torre n’est qu’une étape, normalement.
On passe le « Elmo », 16h00, et  il encore trop tôt pour s’arrêter pourtant c’est l’endroit idéal pour bivouaquer. On se dit qu’il y aura moyen de faire un bivouac plus haut de toute façon.
Ben hallucine sur les formations de givre au dessus de sa tête
On continue et on fait la traversée en mixte ; le brouillard est entrée dans la partie depuis plusieurs longueurs. On ne voit pas plus loin que 30 mètres. Ici plus question de bivouaquer il y a trop de terrassage à faire et surtout c’est de la glace.
On se perd à moitié et je me farci une longueur peu commode.
Mais où on est ?
On retrouve la voie et Ben enchaîne, il s’arrête avant le bout de corde prétextant qu’il y a une grande portion de vertical devant lui ne permettant pas de progresser corde tendue. Je ne le vois plus dans se brouillard et il me fait venir.
Ben à l'ouvrage
Il s’avèrera ensuite que l’on était dans le headwall, dans une des longueurs les plus raides de la voie. Je continue et avale un mur vertical de 30 mètres, cette fois ci sans le sac. Il avait raison c’était mieux de ne pas faire de la corde tendue.
C'est mieux sans le sac !!
On arrive du coup à se repérer par rapport au topo, et on sait à présent qu’il nous reste 3 longueurs pour arriver jusqu’au sommet. En dessous de nous on entend jouer de la flûte, c’est Sean qui joue un air de Noël, ils se sont sûrement arrêtés vers l’« Elmo », un bon emplacement de bivouac. Dès qu’il finit de jouer les autres cordées applaudissent et sifflent, il y a comme un air de fête sous nos pieds.
Nous, nous continuons à grimper dans ce brouillard, et je suis un peu jaloux de la soirée qu’ils vont tous passer ensemble, dommage.
Mes chaussures bien que quasi neuves au début de l’expé ont durement souffert lors des deux premières ascensions et sont désormais plus du tout étanche et à moitié arrachées à l’avant. Il n’en faut que peu pour que mes orteils dépassent. Je souffre d’un froid intense qui ne s’apaise que très peu dans les longueurs. Il est déjà 18h00 et nous devons continuer. Ben reprends le flambeau et fait une longueur de 70 mètres. Ça y est le brouillard se déchire et nous voyons le sommet, encore deux longueurs. Je me charge de la première et arrive sur une arête confortable à une longueur du sommet. Ben me rejoint, nous décidons de bivouaquer là en creusant un peu la neige-givre. Deux cordées sont présentes, une qui descend en rappel et l’autre qui commence la dernière longueur. Étonnant, on ne les avait ni vu, ni entendu depuis le début de l’ascension. Une fois l’emplacement de bivouac achevé le brouillard disparaît complètement laissant un panorama hallucinant nous submerger.
Le bivouac à une longueur du sommet
En même temps que nous faisons fondre de la neige avec le réchaud nous mitraillons le paysage à l’aide de nos appareils. Le seul hic, se sont mes chaussures trempées, qui ne pourront pas sécher, c’est une certitude, et notre fatigue intense après plus de 2700m de dénivelé, depuis 3h30 ce matin. Il est 20h00 et nous commençons à peine à nous installer au bivouac.
Dans ma tête la suite du programme envisagé est fortement compromise avec mes chaussures trempées, c’est un peu trop risqué. On a appris en plus à nous méfier de ces prévisions météo qui sont assez précises pour les 24 heures à venir mais peuvent légèrement se modifier par la suite, notamment par rapport à la force du vent.
Nous nous endormons vers 3100m d’altitude, au dessus de nous la fameuse dernière longueur du Cerro Torre, quasiment toute en glace, du jamais vu. Mon sac de couchage commence à pomper l’humidité de mes chaussures mais cela ne fait que renforcer cette sensation de froid, le vent se lève et je regonfle mon matelas toutes les heures. Cette nuit ne sera pas de tout repos …
Mardi 25 décembre, 6h00 du matin, c’est l’heure d’ouvrir les cadeaux, et quel cadeau. Une fois le petit dèj’ avalé, on range le bivouac, je remets mes chaussures moites, je n’ai réussi qu’à réchauffer l’humidité durant la nuit, mais elles sont toujours trempées. Il y a du vent du sud ce matin, ça rafraîchit l’ambiance, mais pas le moral.
Vient le moment de savoir qui va faire cette ultime longueur, Ben essaye de négocier en me prétendant que j’avais fait les deux longueurs dures la veille. Je lui dis aujourd’hui est un autre jour et il n’y a pas de pitié, ce sera « chi-fou-mi » en une manche gagnante.
C’est la mort subite, chacun de nous deux à rêvé de gravir cette longueur en tête depuis des années et ça va se jouer avec ce jeu enfantin qu’est le « papier-ciseaux-caillou », horrible. On prépare notre outil dans notre tête et c’est parti. Deux cailloux en même temps, match nul, la tension est à son comble, je choisi la feuille et Ben sort le ciseau, je suis mort, Ben éclate de joie et s’empresse de s’équiper. De mon côté j’accepte la défaite et me console car je ferai de belles images.
6h45, Ben attaque la longueur, les cordes volent avec cette brise du sud, il avait équipé ses Nomics avec des ailettes pour pouvoir creuser la neige, mais la longueur est quasi toute en glace et elle lui empêche de planter proprement ses lames. Il galère plus que s’il ne les avait pas mises, par chance (ou pas !) une des ailettes mal serrée à disparu dans le vide et il se retrouve ainsi avec un piolet normal. Du coup ça va beaucoup mieux et il court à présent s’engouffrer dans le tunnel de givre terminal.
Ben, go for it
Le tunnel en second
Je le rejoins rapidement, il reste 20 mètres pour atteindre le sommet, on se désencorde et marchons vers le sommet. Il est 7h30, et nous foulons ce sommet tant convoité et rêvé. Nous crions, dansons, rions et finalement nous nous félicitons pour cette belle expé 100% réussi.
Ben et moi à la cumbre du Torre
Nous nous en arrêterons là, mes chaussures et le vent font que nous redescendrons par le même itinéraire.
Faute de champagne nous fêtons le sommet et Noël par la même occasion avec un bon gros cigare cubain. Ne sachant pas comment ça se fume, on c’est à moitié étouffé, mais bon c’était la class quand même.
Une vue de dingue, je vous dis
On mitraille le paysage, une mer de nuage entoure le Fitz Roy, nous voyons le Hielo Continentale en entier, on est seul sur cette îlot de givre, c’est juste magnifique.
Une vue rare en Patagonie
On attaque les rappels et très vite nous croisons, une, deux, quatre, huit cordées, hallucinant !!!
C’est Bagdad, tout le monde grimpe en même temps, les cordes se croisent, des cordées rouspètent, car des morceaux de glace leur tombent dessus. Il y a même des cordées qui grimpent à plusieurs de front, pour essayer de doubler. Heureusement pour nous, nous avons fait ces longueurs la veille.
Plus bas Sean et Stéphane grimpent tranquillement en queue de peloton, ils ont oublié de se réveiller, la poisse, ils reçoivent tous les débris de glace et neige des autres cordées. Mais ça n’a pas l’air de les déranger.
Nous continuons les rappels et rattrapons une autre cordée qui descend. C’est un guide argentin avec un client qui fait demi-tour car il y a trop de monde, son client n’est pas en sécurité.
C’est ahurissant de voir ça dans cette voie qui a connue en moyenne une cordée par an. Et là c’est près de 15 cordées (28 personnes au total) en 2/3 jours, un record. C’est dû au déséquipement de l’ancienne voie normale du « Compressor » en face est, par des américains.
Avant, la voie du « Compressor » était bondée car techniquement très facile (du tire clou sur 400 points en place). A présent qu’ils en ont retiré plus de 120, c’est devenu un challenge de haut vol, il n’y a plus de place pour les amateurs. Par défaut tout le monde s’est rabattu dans la voie de la face ouest, c’est pour cette raison que c’est n’importe quoi à présent.
Il est environ midi quand nous finissons les rappels, le soleil tape dur, il fait très chaud et il va falloir traverser le glacier et remonter au col Standhardt. La neige est molle et l’insolation n’est pas loin. On ne prend pas de risque et on se transforme en « Casper le petit fantôme » en appliquant une bonne couche de crème solaire.
On s’enfonce allègrement dans cette neige humide, c’est très éprouvant et nous avançons lentement. La trace passe à travers plusieurs mauvaises crevasses et c’est à quatre pattes, voire allongés sur la neige, que nous les franchissons, afin de mieux répartir notre poids pour ne pas passer à travers les ponts de neige. Nous avançons au rythme d’un escargot et le soleil de plomb nous ramolli. Nous faisons plusieurs pauses pour faire fondre de la neige et boire. La remontée au col est éprouvante et ce qui va nous miner le moral, c’est lorsque nous allons arriver au pied. La goulotte qui était présente la veille à complètement disparu, fondue par le soleil. Nous refaisons de l’eau et décidons de grimper dans le rocher.
Ben à l'attaque du couloir menant au col Standhardt
Deux grandes longueurs de 60 mètres plus tard, nous somment au col. Ces deux longueurs étaient plus pénibles que dures. Il est 22h00 et nous attaquons enfin la descente côté « Nipo Nino » à l’ombre cette fois ci.
Devant nous le Fitz Roy en partie dans l’ombre du Cerro Torre ; amusant cette vue.
L'ombre du Torre, Egger, et Standhardt sur la face ouest du Fitz
Nous rejoignons enfin la tente vers minuit, et nous voyons ce bâtard de renard roder autour de notre campement. Le renard a réussi à enlever quelques pierres et a pris notre lyophilisé et quelques autres précieuses énergies qui nous faisaient tant rêver sur ce retour interminable. On rage, on essaye de le toucher avec quelques pierres mais rien à faire, le mal est fait, nous aurions dû mettre le double de pierres pour être sûr que tout reste en place à notre retour.
1h00 du matin, nous sombrons dans un profond sommeil, je n’ai plus la motivation de regonfler mon karimat, je dormirais sur mes vêtements.
Le Cerro Torre vu depuis "Nipo Nino"
Ce qui est sûr à présent c'est que nous avons plein de projets à concrétiser dans ce massif. Maintenant que ces montagnes sont dans la poche il va falloir revenir pour des choses plus techniques, peut-être un enchaînement et surtout pour en prendre encore plein les mirettes.

jeudi 20 décembre 2012

Première sur l’Aguja Standhardt via « Tomahawk » et « Exoset » en libre à la journée !!!

Eh oui, la cordée de sudistes à encore frappé. Cela faisait une dizaine de jours qu’on tournait en rond à El Chalten à regarder la météo.

Jeudi 11 : Nous sommes allés repérer l’approche jusqu’au camp avancé de «Nipo Nino» au pied de la face Est du Cerro Torre  et faire une dépose de matos pour la prochaine fenêtre de beau. 6h00 de marche plus tard, nous sommes au camp, mais il pleut, nous faisons demi tour sans avoir rien vu autour de nous.
C'est bien de repérer l'approche
 Par contre repérer cette marche sera un bonus pour la prochaine fois car il s’avère que le chemin le plus rapide est loin d’être évident. Retour en 4h30, on est bien fatigué, mais au moins le matos est là-haut, la prochaine fois on ne montera que la nourriture.
La marche jusqu'à Nipo Nino
5 jours se passent avant qu’une éclaircie arrive, on est dans les starting blocs. Mardi 16, nous montons dans la matinée au camp avancé. Au début la vue est dégagée, mais ça se couvre vite et des nuages nous cachent la vue à la moitié de la face. Arrivés au camp nous hésitons encore ; si nous basculons en face Ouest pour tenter la « Ragni » au Cerro Torre.

Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Il est tombé beaucoup de précipitation et la neige est bien présente.  De plus, cela fait 20 jours que personne n’à essayé la voie ; du coup l’approche au pied de la face Ouest peut prendre 10h00 facilement, à brasser dans 50cm de neige fraîche. Après il faut bien compter 12h00 de grimpe sans compter le temps qu’il faudra pour creuser le tunnel de la dernière longueur clé (le fameux champignon en glace-givre). Après cela il faut redescendre en rappel et remonter le col Standhardt et rejoindre le camp, environ 10h00. Bref, on n’est pas couché et la météo annonce plus ou moins 36 heures de beau sans trop de vent.
La vue depuis le camp avancé sur le Fitz Roy et ses satellites
Après moult concertations et discussions avec d’autres cordées, nous décidons de ne pas tenter le Cerro Torre ce coup-ci, c’est un peu juste. Il faut savoir qu’en Patagonie on ne peut pas jouer avec la météo car personne ne viendra nous chercher. Beaucoup se sont fait avoir et ne sont plus là pour en parler.
Il nous reste encore 15 jours d’expé, on opte donc pour une solution de repli. Je pars en direction du fond de la vallée pour repérer s’il y a des traces et voir à quoi ressemblent les faces et diverses goulottes. 
Ben reste au camp et soigne ses ampoules.
Le col Standhart et la ligne de Tomahawk, complètement à gauche

Je mitraille les différentes faces pour ramener de quoi réfléchir avec Ben. 
Une ligne me saute aux yeux mais ça va être dur. 
Entre temps plusieurs cordées redescendent du col Standhardt. 
Ils ont tous essayé la voie « Exoset » et butté à la première longueur. Apparemment une fissure pleine de glace les ont fait rebrousser chemin.

Je rentre au camp et on analyse les différentes options. 
Première option essayer « Exoset » et  franchir l’obstacle de la première longueur, ça nous parait l’objectif le plus facile à réaliser pour assurer une voie.

Deuxième option, bien plus intéressante : partir dans une goulotte bien plus bas que le col, « Tomahawk » et enchaîner directement « Exoset » à sa sortie. 
Ça fait une ligne directe et logique vers le sommet mais ce n’est pas la même affaire. 
800 mètres de goulotte raide avec environ 5 longueurs entre le grade 5 et 6, et le soleil qui arrive dessus à 6h00 du matin !!! Il va falloir partir tôt si on veut faire doublette.

Il est 17H00, on mange et on va se coucher, réveil prévu 21h40 pour partir en début de nuit, c’est tout décidé : demain on se fait une pure journée de goulotte.

Le réveil sonne il fait toujours jour, Ben comme à son habitude ronchonne et attends que le petit déjeuner soit prêt pour se lever (Quel fouine celui là !!). 
Ça y est, on est fin prêt, sac sur le dos, le ventre plein, nous partons vers 22h30 à l’assaut de l’aiguille Standhardt. 
On profite d’un regèle moyen mais la trace est faite, on avance bien et en 2h30 on est au pied de « Tomahawk ». La première longueur est pas très engageante et paraît très délicate et super raide, Ben se propose pour se dur labeur. Dans ma tête je me dis "ouf ce n’est pas moi qui vais me faire peur de bon matin". Il est 1h00 du matin, il fait nuit noir.

En effet, 1h15 plus tard Ben arrive au relais, il a tout donné. Du bas des plaquages foireux et des protections moyennes faisaient froid dans le dos, mais Ben léger et technique a déjoué les pièges de cette cheminée dièdre. 
Je pars à mon tour dans cette longueur et très vite mon sac à dos me tire en arrière, c’est sacrément raide. 10 mètres plus haut je vois le petit sac à dos de Ben accroché à un point. 
Me voilà avec deux sacs en train de me hisser sur des plaquages de neige glace décollés. Tout s’écroule sous mes pieds et piolets je suis à deux doigts de tomber, mais Ben assure sec. Arrivé en haut, je salue l’artiste et le remercie d’être passé en tête.

A mon tour. La suite parait plus facile mais on ne voit pas tout. Sur le topo il est indiqué que la prochaine longueur est en grade 6. 
50 mètres plus loin je fais relais au pied d’une immense longueur de glace raide ; je crois que c’est plutôt celle là le grade 6. 
Ben me rejoins et je lui propose de la faire. Il ne s’y oppose pas, bien au contraire : ses bras sont encore en vibration après sa belle prestation.
Le grade 6 easy
La longueur est plus impressionnante que dure, il s’agit d’un dièdre assez fermé, avec de la glace sur la partie droite. Du coup je me repose contre le mur derrière moi, et cette longueur n’est en fait qu’une formalité. Je mets plusieurs broches à l’aide des deux mains, en opposition entre le rocher et la glace, dément ! La suite déroule pas mal et nous arrivons rapidement sur les grandes rampes de neige que l’on avale, en corde tendue. 
Je fais la trace sur 200 mètres, en passant 2 ressauts faciles.
Les rampes faciles
Ben prend la suite pour arriver au pied d’« Exoset ». Il est 7h00 et la goulotte prend le soleil depuis plus de trois quarts d’heure. Beaucoup de petits morceaux de glace tombent en continu, mais rien d’alarmant.

On décide de continuer coûte que coûte, en faisant que des longueurs de 60 mètres, afin d’aller le plus vite possible. Cette goulotte est vraiment une raie des fesses, c’est très pur comme ligne et d’une raideur incroyable. Parfois nos épaules touchent les 2 murs verticaux de part et d’autre, hallucinant !
Ben est juste assez large
Ça parpinne de plus en plus et c’est tête baissée que nous grimpons et assurons. Ça tombe en permanence ; en gros c’est la guerre. 
Ben me fait tomber un bon bloc de rocher en plein milieu du casque. J’ai enfin testé ce nouveau casque ultra light de Petzl, le « Sirrocco ». Eh bien à présent, je lui fais confiance à 100%. Ça m’a bien secoué la tête et le casque va sûrement finir sa vie en Patagonie ou dans ma vitrine de salon.
Une pure goulotte
La glace commence à présent à bien ramollir, et ça pleut littéralement dans la goulotte. Mais les longueurs sont toutes aussi raides ; plus on monte et moins on se prend des chutes de glace. Les deux dernières longueurs nous paraissent interminables, nos bras n’en peuvent plus et nous sommes trempés. 
Au relais on lutte pour se réchauffer ou plutôt réchauffer nos vêtements imbibés. L’eau coule le long de nos piolets puis des gants et enfin entre par la manche quand on a le bras tendu en l’air pour grimper, abominable.
Sa mouiiillllle !
On arrive enfin au petit col, nous sommes exténués.  La longueur suivante, pour atteindre la neige glace qui forme le sommet, est horriblement dalleuse. On n'a plus la force de nous battre ; nous pensons même à redescendre. 
Le temps de se réchauffer et de manger un saucisson et un peu de fromage, la motivation remonte. C’est trop bête de butter là ; on en a trop chié pour renoncer aussi haut.
Saleté de dalle ; on a failli buter
A nouveau Ben se lance pour un ultime combat. 45 minutes plus tard et quelques assoupissements inattendus de ma part, il crie victoire, car la suite est plus facile, et surtout il voit le sommet, hourra. Je le rejoins en quatrième vitesse et enchaîne une traversée en neige et glace de 100 mètres, on est au pied du champignon sommitale. Je laisse l’honneur à Ben de se régaler avec cette formation si originale et tant attendue. On vit un rêve d’alpiniste.
Ben au pied du champi
8 mètres plus haut c’est le sommet, ça y est ; on est en haut de l’aiguille Standhardt.
Encore un sommet de plus : )
La vue est magique, on à l’impression de pouvoir sauter sur le Cerro Torre tellement ça a l’air proche. On le dévore, l’analyse sous toutes les coutures, on s’en imprègne, c’est sûr celui là il nous le faut.
Cerro Torre, on t'aura

Nous commençons la descente, tous les rappels vont se dérouler normalement
Les rappels
et vers 20h00 nous sommes de retour à la tente. Tout c’est déroulé comme sur des roulettes.

Un poil défoncé mais surtout brûlé vif
De retour à El Chalten on parle de cette voie à plusieurs personnes et apparemment c’est la première fois que les 2 goulottes se font à la journée. Normalement les cordées bivouaquent au pied d’« Exoset » pour ne pas être trempées. 
De plus nous avons commencé Tomahawk par une nouvelle longueur et en libre. Le tracé du topo original prends en L1, une rampe en 5+ et un peu d’artif. Nous sommes passés tout droit, sous la goulotte. 
Nous avons donc signé la première ascension en libre à la journée de cette connexion, ça fait toujours plaisir, non !!!

samedi 8 décembre 2012

Hold up au Fitz Roy !!!

Un rêve devenu réalité

L’analyse des différents météogrammes en tous genres est la seule occupation qui occupe les habitants d’El Chalten. Tout tourne autour de ces diagrammes et autre courbes que chacun tente de comprendre afin d’échafauder des plans pouvant amener au sommet d’une montagne.
C’est donc quelques jours après être arrivé dans la capitale du massif du Fitz Roy que se profile une fenêtre exploitable. La météo annoncée prévoit pour les 4 prochains jours à peu près cela :

  • Lundi 3, 24 heures de précipitations mais sans tomber dans l’extrême et sans vent.
  • Mardi 4, grand beau sans vent
  • Mercredi 5, le vent se renforce et le beau est toujours présent
  • Jeudi 6, des vents violents apparaissent, rendant toute escalade impossible voir dangereuse au vu des 180 km/h de vent  prévu !!!
Pour nous se sera le Fitz Roy par la voie « Franco-Argentine ». Notre stratégie et l’objectif, au vu de ces prévisions est la suivante :

  • Lundi 3, on part léger et on marche le plus loin possible, sous la pluie-neige, quitte à arriver au pied de la voie ; voir bivouaquer dedans si c’est possible. 6 heures de marche pour rejoindre le camp avancé, une heure d’approche jusqu'à la rimaye et encore environ 3h00 pour rejoindre le pied de la voie, 400m plus haut. Pour cela nous projetons de partir vers 5h00 du matin.
  • Mardi 4, c’est normalement la meilleure journée, du coup il faut l’exploiter à fond. Nous essayerons de rejoindre le sommet et de redescendre au camp du « Paso Superior » pour se reposer une nuit et redescendre avant que les vents ne deviennent trop forts. Bien sûr au vu de la neige qui va tomber nous partons dans l’idée de gravir la voie en mode dry tooling, car il est annoncé entre 20 et 50cm de neige. Cette voie se fait normalement en chausson d’escalade mais nous ne prenons qu’une paire de chausson en pariant sur le fait que ce soit impossible de gravir la voie en escalade pure.
  • Mercredi 5, retour pour El Chalten en 4h30.
Ça, c’était le plan prévu, avec deux repas du soir (1xpolenta et 1x purée sans sauce) et 15 barres de céréales par personnes pour les 3 jours. Pour le petit déjeuner un sachet de Tang par matin et un paquet de biscuit. Là on est vraiment partis light en terme de nourriture et on le regrettera.
Avec Ben nous sommes partis lundi 3 à 5h00 du matin d’El Chalten, il pleuviotait comme prévu. 
Au début ça ne dérange pas trop mais au bout de 3h00 de marche, nous sommes trempés. 
Nous décidons au passage d’une cabane rustique mais étanche de faire une pause et de mettre une couche de plus. 
Le ciel est bâché et rien ne nous laisse espérer une accalmie, nous continuons coûte que coûte, de toute façon il le faut, les fenêtres de beau sont rares.
Une heure après la pause nous arrivons sur la moraine, qui débouche sur un glacier à remonter ; mais le brouillard ne nous permet pas de savoir où nous allons ; La carte plus que rudimentaire ne sert à rien et n'est aucunement exploitable pour s’orienter. 
Nous errons à vue et tombons sur une vieille trace difficile à décerner dans la neige, on se dit que c’est la trace à suivre et on monte en essayant de ne pas la perdre. 
Peine perdue, il n’y a plus de trace et nous avançons à tâtons en espérant tomber sur de meilleures indices. Mais on se rend vite compte que c’est impossible d’avancer sans se perdre, d’ailleurs nous sommes probablement déjà perdu et en dehors de la trace directe. 
Nous décidons de creuser un igloo et d’attendre à l’abri que le temps se calme, car il pleut toujours et nous n’avons pas pris la tente pour être plus léger. Pendant que je creuse l’igloo, Ben décide d’aller explorer les environs, car nous n’avons qu’une seule pelle. 
Il revient plein d’espoir et dit qu’il faut tenter de monter plus haut pour s’avancer, nous sommes encore tôt dans la journée.
Nous montons et arrivons sur une arête en rochers brisées et arrivons à un sommet putride, le Cerro Madsen (1800m), on y voit toujours pas à plus de 20m et nous nous apercevons que nous sommes perdus, rien ne correspond à notre topo, et il pleut toujours, c’est vraiment la loose. 
Nous regrettons de ne pas avoir pris la tente, mais à présent il va falloir se préparer à passer la nuit dans ce mauvais temps. Parfois il y a une petite accalmie, mais ça bruine toujours. En deux heures de temps nous bâtissons un bivouac 4 étoiles tout en pierre et à l’aide d’une couverture de survie nous nous mettons à l’abri.
Notre travail de 2 heures
Le Cerro Madsen et notre désarroi
Dans notre malheur nous sommes quand même heureux qu’il n’y ai pas de vent, sinon nous ne pourrions apprécier cette couverture étanche providentielle. La journée passe et la pluie se transforme en neige et c’est relativement couché que nous nous endormons, bercés par le bruit de la neige qui se dépose sur la couverture de survie. Nous somnolons jusqu’au lendemain matin. On avait mis le réveil vers 4h00 mais il neigeait encore, le doute s’installe…
Le lendemain nous sommes dépités car on sent qu’on a raté le créneau. 
On décide d’attendre que le ciel se déchire car nous sommes toujours dans le brouillard. 
L’objectifs est revu à la baisse, nous allons essayer de repérer le bivouac du « Paso Superior » et y laisser du matériel pour la prochaine fois.
Vers 10h00 du matin, ça y est on devine quelque chose, on n'est vraiment pas sur le bon chemin, pour nous on est foutu, c’est mort. 
On a bivouaqué sur un sommet qui n’a rien à voir avec l’approche.
Le Paso Superoir est en face de nous, oups
Il nous reste que 2 jours de bouffe et nous ne sommes toujours pas au pied de la voie. En plus on s’aperçoit que la neige est bien tombée. Toutes les faces sont plâtrées, c’est un carnage pour notre motivation.
Le peu de motivation qui nous reste nous fait descendre dans un couloir d’éboulis enneigé. Et nous rejoignons une trace évidente que nous n’avons pas trouvée la veille. Nous remontons tranquillement ensuite au camp vers 1950m.
En montant au Paso Superior
Il fait enfin beau, c’est magnifique et notre moral remonte. Ben sur-motivé pour ne pas redescendre bredouille, se tâte à faire une tentative mais la neige est ultra molle et c’est dans de la soupe qu’il faut remonter le glacier pour atteindre la voie. C’est purement un travail de titan de tracer dans cette neige sur-humide. Durant 2h00 on se demande si nous redescendons ou si nous essayons d’aller voir.
Il nous reste un repas du soir et 8 barres de céréales chacun, il nous faut au moins un jour pour faire la voie et un autre jour pour redescendre si on va vite, au vu des conditions enneigées de la face. 
Le constat est vite fait, on est vraiment limite au niveau nourriture. 
Nous n’avons pas passé une bonne nuit et la trace à faire sur le glacier parait surhumaine tellement c’est mou, aucune voie n’est en condition. Tout les éléments et l’enchainement qui nous ont amenés là, nous incitent à rentrer et renoncer, mais c’est sans compter un relent de motivation incroyable de Ben.
On calcule le pour et le contre et c’est avec moult réflexions que nous décidons de faire une tentative en partant le plus léger possible. Nous passons l’après-midi à boire, manger (purée sans sauce !!!) et à se reposer, car nous partirons vers 23h00 pour profiter du regel nocturne et pouvoir atteindre le début de la voie  au lever du jour.
C'est l´heure de la sieste avant un réveil vers 22h00
3 cordées de plus sont venues au campement mais ne savent pas quoi tenter, par rapport à toute cette neige. Par contre ils ont la dernière météo et cela va jouer enfin en notre faveur, demain c’est finalement la meilleur journée, les vents violents vont venir un jour plus tard. C’est avec cette bonne nouvelles que nous nous endormons, le buff sur les yeux, pareil nous somnolons quelques heures en état de transe.

Le réveil sonne, il est 22h00, nous avons dormi 2 heures, il fait encore jour et nous avalons un paquet de biscuits et un litre de Tang chaud. On range les duvets et on les laisse au bivouac, on part le plus léger possible. 23h00, la neige est dure, c’est une aubaine et c’est au pas de course que nous rejoignons la rimaye. Il fait nuit et nous décidons de rejoindre la brèche des italiens par des grandes pentes de neige très raide et du mixte facile. Ça roule pas mal et nous arrivons vers 2h30 à la brèche. La suite est facile et vers 4h00 nous attaquons la première longueur de la « Franco-Argentine ».
Première longueur en 6a+ ça promet pour la suite
Piolets en main et crampons bien calés, c’est parti. Il est impossible de grimper en chausson et du coup nous grimpons lentement et de temps en temps nous tirons sur les protections.
On se croirait en face en Alaska
On est parti en mode sans pitié. Lorsque la longueur est trop dure le second avec le sac à dos jumarde dans les parties les plus raides pour gagner du temps.
Ben en plein boulot
Le jour se lève et c’est un soleil radieux qui nous réchauffe et  nous motive à grimper sans relâche. 
Pas de vent, c’est énorme et très appréciable. Toutes les longueurs sont dures pour le coup. C’est un véritable combat de rue dans chaque longueur. A aucun moment on se dit que c’est gagné et c’est mètres après mètres que nous nous rapprochons du sommet.
C'est raide tout le long, c'est incroyable
Dans un long dièdre en 6b+ de 50 mètres Ben décide de grimper en chausson pour voir, mais fini par remettre les chaussures pour la sortie en neige. On restera en mode dry tooling tout le long. Par moment, tellement fatigué je m’endors en assurant Ben, c’est vraiment limite. 
En 3 nuits nous avons que très peu dormi et par à-coups.
Du dry dément je vous dis
Vers midi nous sommes plus qu’à 4 longueurs de la fin des difficultés, l’itinéraire est bien déchiffré et nous ne commettons aucune erreur. De beaux passages en dry nous défoncent les bras et c’est à bout de force que nous sortons la dernière longueur, la plus difficile en 6b, A2.
La dernière longueur en 6b/A2
Vers 14h30 nous sommes aux pieds de la pente de glace fossile qui mène au sommet, nos lames de piolets émoussées et nos crampons ronds rendent cette glace très fastidieuse à gravir malgré ses 60° d’inclinaison. Je me fais plusieurs zippettes des 2 pieds, me retrouvant pendu sur les piolets en corde tendue évidement. On est fatigué et nous arrivons exténué au sommet vers 16h30, la joie est présente mais la fatigue l’emporte sur l’enthousiasme, surtout que la descente n’est pas encore faite.

Ben et moi, joie et  fatigue
En Patagonie arriver au sommet n’est que la moitié du chemin à parcourir et à partir de là commence une nouvelle course pour rejoindre le pied de la face. Nous sommes à bout de force nous avons mangé en tout et pour tout 4 barres céréales depuis 23h00 la veille, nous sommes au bord de l’hypoglycémie.
Une fois le panorama bien dégusté et quelques photos mythiques en poche nous prenons la direction de la descente.
Le Cerro Torre, notre prochain rêve et derrière lui le Hielo continatale, le plus grand glacier du monde
L’objectif principal de la descente consiste à ne pas coincer la corde en la rappelant, quitte à faire plein de petits rappels. Par chance il n’y a toujours pas de vent et nous rejoignons la selle neigeuse en une quinzaine de rappels. On rejoint la brèche des italiens et nous continuons à caler 6 rappels. Il nous aura fallu cinq heures pour descendre la voie en rappel.
La journée à été chaude et la neige est à présent molle, nous nous enfonçons allègrement dans une neige merdique et rentrons au bivouac en plus d’une heure, exténués. La faim est intenable mais rien à faire les sacs sont désespérément vide de nourriture. Nous nous endormons direct et sombrons dans un coma de fatigue le ventre creux.
Le lendemain matin nous rangeons les sacs et partons sans même boire. El Chalten nous obsède car nous savons que là-bas il y a la nourriture, la tente, le confort, la vie simplement.
Il est 13h00 quand nous arrivons, nous sommes de vrai zombies, les gens se retournent en nous croisant. Le camping enfin atteint, nous mangeons 3 repas en l’espace de 2 heures, une vraie boulimie.
Notre tente au camping et en toile de fond le Fitz Roy, étonnamment proche et si loin en réalité
Nous apprendrons plus tard dans la soirée que toutes les cordées parties pour les diverses ascensions ont échoué à cause de la neige durant le mauvais temps. Nous sommes les seuls à avoir fait une croix. Beaucoup de grimpeurs nous félicitent et la bière sera notre seule nourriture de la soirée jusque tôt dans la matinée.
Un premier sentiment d’allégresse nous envahi, nous venons de réaliser un premier rêve. A présent on va se concentrer sur le Cerro Torre et la voie de la face ouest en espérant un autre créneau favorable. Pour les 6 prochains jours du vent du vent et encore du vent …