Une certaine habitude météo commence à faire ses preuves
dans le massif du Cerro Torre. Chaque année vers Noël, il y a une fenêtre de
beau. Comme si le père Noël aimait les grimpeurs et alpinistes et leur faisait
à tous un cadeau commun, une ascension. Et quel cadeau, dans cette contrée si
hostile et magnifique.
Notre plus beau présent cette année fut le Cerro Torre par la face ouest, la voie mythique faite de neige, givre et glace. Imaginez grimper sur une meringue géante, il n’y a pas d’équivalent, c’est juste un mirage, un phantasme d’alpiniste, une ascension orgasmique à chaque coup de piolets.
Notre plus beau présent cette année fut le Cerro Torre par la face ouest, la voie mythique faite de neige, givre et glace. Imaginez grimper sur une meringue géante, il n’y a pas d’équivalent, c’est juste un mirage, un phantasme d’alpiniste, une ascension orgasmique à chaque coup de piolets.
Un beau créneau de 6 jours de beau, sans vent, est prévu à
partir du 23 décembre et c’est l’effervescence à El Chalten. Des plans sont
échafaudés dans les quatre coins de la ville. Mais au fur et à mesure que la
date du 23 arrive le créneau est de plus en plus court, comme d’habitude. Ce qui
est sûr lorsque nous partons pour bivouaquer à « Nipo Nino » c’est
que l’on a deux jours et demi de beau sans vent.
Notre projet est de faire l’ascension de la face ouest du Cerro Torre par la voie « Ragni ». Ensuite descendre en rappel par la voie « El arca de los vientos » et au niveau du « col de la conquista », essayer la première répétition de la voie « Venas Azules » qui amène au sommet de la Torre Egger.
Nous avons le temps et sûrement les capacités de le faire. Cela reste un beau
projet mais il faut déjà faire la « Ragni » ensuite on verra, ce sera
un bonus de luxe.
Notre projet est de faire l’ascension de la face ouest du Cerro Torre par la voie « Ragni ». Ensuite descendre en rappel par la voie « El arca de los vientos » et au niveau du « col de la conquista », essayer la première répétition de la voie « Venas Azules » qui amène au sommet de la Torre Egger.
La ligne de Venas remonte au milieu les langues de neige-glace |
On part donc le 23, accompagné de Sean et Stéphane, deux
grimpeurs de rocher belges exceptionnels, eux aussi sont de la partie pour le
Cerro Torre. Sean comme à son habitude, adore faire trempette dans l’eau à 5°C
et en profite au lago Torre.
Sean et sa traditionnelle baignade, un malade, un belge je veux dire |
On continue tranquillement avec quelques pauses sur le
chemin, où d’ailleurs j’oublie par mégarde mon appareil photo. Ça me donnera
l’occasion d’un petit footing en aller retour sur le glacier pour revenir le
chercher. Comme disent les grands-mères « quand on à pas de tête, on a des
jambes ». Je m’en serais bien passé!
Ben, tout content de marcher 5 heures |
Heureusement j’avais monté une autre frontale par contre le
karimat je vais devoir le regonfler toutes les demi-heure si je veux «
bien » dormir … Si je le chope ce renard, je l’empale au bout de mon
piolet et j’en fais un assado (c’est la colère qui parle).
Réveil à 2h15, départ tardif à 3h30. On prend soin de cacher le reste de nourriture sous un énorme kairn de pierre, afin que le renard ne
puisse pas manger nos vivres.
La remontée au col Standhardt est magnifique et la lumière
orangée du matin illumine la face est du Cerro Torre, magique.
Le Cerro Torre et la Torre Egger en pleine lumière |
Le col de la Esperanza, là où tout commence |
Nous avançons, notre objectif est d’aller le plus haut
possible et commencer à regarder pour bivouaquer vers 18h00, histoire de bien
se reposer car le sommet du Cerro Torre n’est qu’une étape, normalement.
On passe le « Elmo », 16h00, et il encore trop tôt pour s’arrêter pourtant
c’est l’endroit idéal pour bivouaquer. On se dit qu’il y aura moyen de faire un
bivouac plus haut de toute façon.
On continue et on fait la traversée en mixte ; le brouillard est entrée dans la partie depuis plusieurs longueurs. On ne voit
pas plus loin que 30 mètres. Ici plus question de bivouaquer il y a trop de
terrassage à faire et surtout c’est de la glace.
Ben hallucine sur les formations de givre au dessus de sa tête |
On se perd à moitié et je me farci une longueur peu commode.
On retrouve la voie et Ben enchaîne, il s’arrête avant le bout de corde
prétextant qu’il y a une grande portion de vertical devant lui ne permettant pas
de progresser corde tendue. Je ne le vois plus dans se brouillard et il me fait
venir.
Mais où on est ? |
Ben à l'ouvrage |
Il s’avèrera ensuite que l’on était dans le headwall, dans
une des longueurs les plus raides de la voie. Je continue et avale un mur
vertical de 30 mètres, cette fois ci sans le sac. Il avait raison c’était mieux
de ne pas faire de la corde tendue.
C'est mieux sans le sac !! |
Nous, nous continuons à grimper dans ce brouillard, et je
suis un peu jaloux de la soirée qu’ils vont tous passer ensemble, dommage.
Mes chaussures bien que quasi neuves au début de l’expé ont
durement souffert lors des deux premières ascensions et sont désormais plus du
tout étanche et à moitié arrachées à l’avant. Il n’en faut que peu pour que mes
orteils dépassent. Je souffre d’un froid intense qui ne s’apaise que très peu dans
les longueurs. Il est déjà 18h00 et nous devons continuer. Ben reprends le
flambeau et fait une longueur de 70 mètres. Ça y est le brouillard se déchire
et nous voyons le sommet, encore deux longueurs. Je me charge de la première et
arrive sur une arête confortable à une longueur du sommet. Ben me rejoint, nous
décidons de bivouaquer là en creusant un peu la neige-givre. Deux cordées sont
présentes, une qui descend en rappel et l’autre qui commence la dernière
longueur. Étonnant, on ne les avait ni vu, ni entendu depuis le début de
l’ascension. Une fois l’emplacement de bivouac achevé le brouillard disparaît
complètement laissant un panorama hallucinant nous submerger.
Le bivouac à une longueur du sommet |
Dans ma tête la suite du programme envisagé est fortement
compromise avec mes chaussures trempées, c’est un peu trop risqué. On a appris
en plus à nous méfier de ces prévisions météo qui sont assez précises pour les 24
heures à venir mais peuvent légèrement se modifier par la suite, notamment par
rapport à la force du vent.
Nous nous endormons vers 3100m d’altitude, au dessus de nous
la fameuse dernière longueur du Cerro Torre, quasiment toute en glace, du
jamais vu. Mon sac de couchage commence à pomper l’humidité de mes chaussures
mais cela ne fait que renforcer cette sensation de froid, le vent se lève et je
regonfle mon matelas toutes les heures. Cette nuit ne sera pas de tout repos …
Mardi 25 décembre, 6h00 du matin, c’est l’heure d’ouvrir les
cadeaux, et quel cadeau. Une fois le petit dèj’ avalé, on range le bivouac, je remets
mes chaussures moites, je n’ai réussi qu’à réchauffer l’humidité durant la
nuit, mais elles sont toujours trempées. Il y a du vent du sud ce matin, ça
rafraîchit l’ambiance, mais pas le moral.
Vient le moment de savoir qui va faire cette ultime
longueur, Ben essaye de négocier en me prétendant que j’avais fait les deux
longueurs dures la veille. Je lui dis aujourd’hui est un autre jour et il n’y a pas de pitié, ce sera « chi-fou-mi » en une manche gagnante.
C’est la mort subite, chacun de nous deux à rêvé de gravir
cette longueur en tête depuis des années et ça va se jouer avec ce jeu enfantin
qu’est le « papier-ciseaux-caillou », horrible. On prépare notre
outil dans notre tête et c’est parti. Deux cailloux en même temps, match nul,
la tension est à son comble, je choisi la feuille et Ben sort le ciseau, je
suis mort, Ben éclate de joie et s’empresse de s’équiper. De mon côté j’accepte
la défaite et me console car je ferai de belles images.
6h45, Ben attaque la longueur, les cordes volent avec cette
brise du sud, il avait équipé ses Nomics avec des ailettes pour pouvoir creuser
la neige, mais la longueur est quasi toute en glace et elle lui empêche de
planter proprement ses lames. Il galère plus que s’il ne les avait pas mises,
par chance (ou pas !) une des ailettes mal serrée à disparu dans le vide
et il se retrouve ainsi avec un piolet normal. Du coup ça va beaucoup mieux et
il court à présent s’engouffrer dans le tunnel de givre terminal.
Ben, go for it |
Le tunnel en second |
Ben et moi à la cumbre du Torre |
Nous nous en arrêterons là, mes chaussures et le vent font
que nous redescendrons par le même itinéraire.
Faute de champagne nous fêtons le sommet et Noël par la même
occasion avec un bon gros cigare cubain. Ne sachant pas comment ça se fume, on
c’est à moitié étouffé, mais bon c’était la class quand même.
Une vue de dingue, je vous dis |
Une vue rare en Patagonie |
C’est Bagdad, tout le monde grimpe en même temps, les cordes
se croisent, des cordées rouspètent, car des morceaux de glace leur tombent
dessus. Il y a même des cordées qui grimpent à plusieurs de front, pour essayer
de doubler. Heureusement pour nous, nous avons fait ces longueurs la veille.
Plus bas Sean et Stéphane grimpent tranquillement en queue de
peloton, ils ont oublié de se réveiller, la poisse, ils reçoivent tous les
débris de glace et neige des autres cordées. Mais ça n’a pas l’air de les
déranger.
Nous continuons les rappels et rattrapons une autre cordée
qui descend. C’est un guide argentin avec un client qui fait demi-tour car il y
a trop de monde, son client n’est pas en sécurité.
C’est ahurissant de voir ça dans cette voie qui a connue en
moyenne une cordée par an. Et là c’est près de 15 cordées (28 personnes au
total) en 2/3 jours, un record. C’est dû au déséquipement de l’ancienne voie
normale du « Compressor » en face est, par des américains.
Avant, la voie du « Compressor » était bondée car techniquement
très facile (du tire clou sur 400 points en place). A présent qu’ils en ont
retiré plus de 120, c’est devenu un challenge de haut vol, il n’y a plus de
place pour les amateurs. Par défaut tout le monde s’est rabattu dans la voie de
la face ouest, c’est pour cette raison que c’est n’importe quoi à présent.
Il est environ midi quand nous finissons les rappels, le
soleil tape dur, il fait très chaud et il va falloir traverser le glacier et
remonter au col Standhardt. La neige est molle et l’insolation n’est pas loin.
On ne prend pas de risque et on se transforme en « Casper le petit
fantôme » en appliquant une bonne couche de crème solaire.
On s’enfonce allègrement dans cette neige humide, c’est très
éprouvant et nous avançons lentement. La trace passe à travers plusieurs
mauvaises crevasses et c’est à quatre pattes, voire allongés sur la neige, que
nous les franchissons, afin de mieux répartir notre poids pour ne pas passer à
travers les ponts de neige. Nous avançons au rythme d’un escargot et le soleil
de plomb nous ramolli. Nous faisons plusieurs pauses pour faire fondre de la
neige et boire. La remontée au col est éprouvante et ce qui va nous miner le
moral, c’est lorsque nous allons arriver au pied. La goulotte qui était
présente la veille à complètement disparu, fondue par le soleil. Nous refaisons
de l’eau et décidons de grimper dans le rocher.
Ben à l'attaque du couloir menant au col Standhardt |
Devant nous le Fitz Roy en partie dans l’ombre du Cerro
Torre ; amusant cette vue.
L'ombre du Torre, Egger, et Standhardt sur la face ouest du Fitz |
1h00 du matin, nous sombrons dans un profond sommeil, je n’ai
plus la motivation de regonfler mon karimat, je dormirais sur mes vêtements.
Le Cerro Torre vu depuis "Nipo Nino" |
Ce qui est sûr à présent c'est que nous avons plein de projets à concrétiser dans ce massif. Maintenant que ces montagnes sont dans la poche il va falloir revenir pour des choses plus techniques, peut-être un enchaînement et surtout pour en prendre encore plein les mirettes.
super récit et super alpinistes. Bravo à vous deux!
RépondreSupprimerC'est de famille "Casper le petit fantôme" ! Car moi je connais très bien le papa, "Jean-Mimi" et il l'imite très bien aussi. Bravo à vous : superbe récit !
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