Récit de la voie comme si vous y étiez ! (suivez le récit à l'aide du topo)
35 longueurs, 1300m, grade 6 = cotation Alaska (sur 6), 5.8, A2, M5,AI 6 (cotation glace) + 700m pour atteindre le sommet.
Topo de "Mooflower Buttress"
Départ lundi 17 mai à 7h30 de la tente du camp de base. On suit les traces de pieds des 2 anglais partis plus tôt. Arrivée au pied de la face, ils sont dans L4.
Ben en corde tendue après la rimaye
On passe la rimaye à 9h30 et c'est parti pour 35h30 jusqu'au sommet. Ben avale les 4 premières longueurs en corde tendue (1h30). On a déjà rejoint les anglais ! Pendant 3 longueurs on grimpera en dessous, puis à coté d'eux dans les "twin runnels", une sorte de goulottes parallèles.
Dans la 2ème longueur des "Twin Runnels"
On en profite pour les doubler avant la 1ère longueur clef "The Prow". On apprendra au retour qu'après une nuit vers R14 ils ont battu en retraite à cause de gelures aux doigts. Un des 2 anglais n'avait pris qu'une seule paire de gants, les beignets !!!
Fred dans "The Prow" (L8)
Cette longueur est en A1 puis A2. Je vais la faire entièrement en libre avec une fuite en avant de 6/7 mètres sans protections.
Dans la longueur au niveau du dernier point je me suis dit soit je débranche le cerveau et je file sur la fine couche de glace, soit je fais de l'artif en cassant celle-ci et plaçant des protections dans la fissure bouchée par la glace. Finalement après 2 secondes de réflexion et 10 minutes de terreur, je suis passé avec la première méthode, non sans mal (grade 6 en glace).
R8 après 4h00 d'ascension. Ben prends la suite sur 2 grandes longueurs en commençant par un pendule pour rejoindre une belle goulotte, grade 4+/5. Je fais L11, "Tamara's traverse", c'est 35 m de trav. à 80° qu'il faut nettoyer, sous la neige c'est que de la caillasse dégeu, une heure en tout pour en venir à bout. Ça fait 8h30 que l'on est partis.
Fred dans Tamara's traverse (L11)
On fait 3 longueurs en corde tendue sur la première bande de neige et on arrive à R15 sous l'énorme champignon de neige-glace. Ben va se faire plaisir avec un petit passage en M5.
Ben sous le méga champignon de L16
Il fait relais au pied de "The Shaft". C'est le 2ème passage clé de la voie. C'est une fine goulotte de 3 longueurs en grade 6 . Dans la 1ere longueur, la plus dure, il y a un bouchon de neige tout en haut. J'ai du nettoyer le bouchon puis passer le dévers en tapant à l'aveuglette au dessus du petit toit.
L17 Fred dans la longueur clef de "The Shaft" avec le bouffon de neige en haut
Une fois passé cela on grimpe plus détendus, on sait que l'on a fait le plus technique.
On arrive sur la 2eme bande de neige après 14h00 d'ascension, on décide de faire notre 1ere pause, on est éclatés mais contents, R19. On pensait s'arrêter 2 heures, mais on va finalement rester 5 heures car le jetboil, notre réchaud, fonctionne au ralenti. On a besoin de faire 6 litres pour remplir les camel bags, le thermos et pour les lyophilisés. Et aussi, pendant cette pause on s'endort à moitié.
Le mont Foraker lors de la première pause vers minuit Relais 19
On repart un peu requinqué, il est 4h00 du mat. Il n'a jamais fais nuit noire, limite pas besoin de frontale. On avait une Tikka XP chacun et cela suffisait largement. Ben va se charger de la longueur avec 3 pendules et de l'A2, "The Vision", il libère la partie en A2.
A 9h00 du mat on commence en corde tendue la 3eme bande de neige ça fait 24h00 que l'on a passé la rimaye. On commence à être fatigués et le rythme de progression s'en fait sentir. Heureusement, il ne nous reste que 2 longueurs grimpantes, une en grade 4 et une autre en M5, Ben se chargera de cette dernière. Pour ma part, je ne me sens pas en état de faire une longueur technique. Je m'endors même, en assurant Ben ! Cette 29ème longueur en M5, c'est une offwidth et au fond il y a de la glace, ce qui rend la grimpe déversante...
Ben dans L20 après la première pause
Il est midi quand on arrive sur la dernière bande de neige qui mène au sommet de la voie sur une corniche. Ça fait 27h00 non stop qu'on est partis. Je repasse en tête pour 3 longueurs et demie en corde tendue.
Dans la dernière bande de neige L30-33, le vent souffle au dessus de la corniche
On avance au ralenti. On met 3h00 pour faire ces longueurs en neige à 50°, au secours ! On fait une pause sous les rochers avant la corniche. Pendant 1h15, le temps de manger un lyoph et boire un coup. On est en plein soleil c'est cool. Mais au dessus de nous le vent souffle fort et des spindrifts nous mouillent toutes les 5-10 minutes.
On repart vers 16h pour le sommet de la voie, le vent c'est calmé, on a de la chance. 1 heure après nous sommes sortis de Mooflower Butress après 31h30 d'ascension.
Juste après le sommet de la voie, vers la corniche
On est contents mais il reste à aller au sommet du Mont Hunter et redescendre aussi la longue arête ouest de 7 km. Heureusement les conditions d'enneigement sont avec nous. Après les 5 jours de mauvais et de neige, on pensait que l'on allait brasser jusqu'à la taille, mais le vent à tout soufflé et l'on marche sur de la neige dure sculptée par le vent, dément...
Après le sommet de la voie, on est sur le chemin du sommet ; la neige est toute soufflée
On met 4 heures pour aller au sommet 700m plus haut. Il s'agit, la plupart du temps, de marche, il y a juste 2 sections où il faut regrimper avec les engins, max 60°. A 21h00 nous sommes au sommet du Mont Hunter, 35h30 après avoir commencé. On a réussi.
35h30 après le passage de la rimaye au sommet du Mont Hunter
Une nappe de brume nous envahi, cela ne nous arrange pas car on ne connaît pas la descente. finalement ça ce découvre et on file en bas, pour 12h30 de descente !!!
Une partie de la descente ...
A minuit et demie on se fait une dernière pause sur l'arête pendant 1h30, on en profite pour faire un micro sommeil d'une demi heure. Heureusement à partir de là , à notre grande surprise toute la suite de l'arête est jalonnée par des fanions, résultats d'expé antérieures.On redémarre donc vers 2h00 du mat pour cette interminable arête effilée, cornichée et crevassée. On est exténués mais ça passe toujours mieux lorsque l'on descend.
Dans la traversée de l'arête, il faut rester vigilants.
On atteint le glacier vers 8h30, on a réussi à prendre un raccourci qui nous a fait gagner peut-être plus d'un kilomètre d'arête. Par contre nous avons fait un rappel entouré de séracs et traversé un glacier bien crevassé avec des ponts hallucinants. (pas de photos, trop pressés à cause du danger)
Nos pieds sont extrêmement douloureux car à l'intérieur des chaussures, c'est ambiance tropicale. Chaque pas est un supplice de brûlure et il nous faut rejoindre le CB.
A 10h00 le cauchemar s'arrête nous sommes épuisés et nous nous écroulons dans la tente après plus de 48h00, ouf !
Oh! les têtes de zombies ...
Nous sommes conscients d'avoir réalisé notre plus belle ascension, aucune longueur n'est à jeter, tout est extrêmement raide, la difficulté est soutenue et l'engagement omniprésent. Il n'y a pas d'équivalent en France, notre expé est déjà une réussite, quel soulagement.
Après quelques discussions avec les Rangers, nous avons appris que les répétitions de cette voie était déjà peu nombreuses, mais qu'encore moins allaient au sommet (environ 15) et de ceux-là encore moins avait fait la grande boucle par l'arête, surtout en 48 heures !